Souvenirs de Palestine
Que reste-t-il quand l'actualité s'emballe, et que l'histoire s'accélère dramatiquement sous nos yeux ? Quand les images de l'information continue, et les mots rageurs des réseaux sociaux nous saturent l'esprit ? Quelques souvenirs.
Ce devait être aux alentours de 2003-2004, mon premier voyage, au nombre de cinq je crois, en territoires palestiniens.
Mais avant d'aller plus loin, je tiens à témoigner ma gratitude à un homme dont le courage, au sens noble, donc physique, m'y a conduit. Cet homme, c'est Eric, mon entraîneur de lutte. Ou coach.
Un soir, à la fin de l'entraînement alors que nous étions sur le tapis, il lance aux membres du club encore présents la proposition de l'accompagner dans ce voyage qui avait pour but d'y entraîner et former de jeunes palestiniens à ce beau sport qu'est la lutte.
Par goût de l'aventure, ou inconscience, je saute sur la proposition. Disons aussi, le souci d'aller voir de mes yeux cette terre qui suscitent tant de passions. Je remarque aussi que les belles âmes, nombreuses, qui aujourd'hui poussent des cris d’orfraie étaient peu nombreuses à se manifester alors...
Nous voilà donc Éric, Hervé, autre porteur du projet (ils ont déjà fait quelques voyages à leur actif), en direction de Jérusalem, puis d’Hébron.
Une précision, nous ne nous sommes jamais rendus à Gaza mais toujours en Cisjordanie: Hébron, Jénine, et en visite à Ramallah...
Souvenirs donc. Pêle-mêle...
Abu Amin, notre hôte, ses fils, sa maison où il nous a accueilli avec chaleur. Et bien sûr, tous ces jeunes sur le tapis, à l’entraînement et en dehors, leurs sourires, et le plaisir qu’ils ont à nous recevoir.
Un soir, à Jénine, alors que nous étions dans un restaurant de plein air, revenant de la piscine de ce même lieu, tout en maillot de bain, les regards rieurs m’enjoinant de me couvrir.
Souvenirs de ces jeunes après l’entraînement. Ihab, un midi alors que nous rentrions de l'entraînement, il devait avoir une dizaine d'années m'expliquant que c'est pas bien de rentrer comme ça avec un short si court, priant pour mon âme ! Adulte, il s'est installé en France, et s'est fondu dans le moule...
Une jeunesse, masculine il est vrai, prenant soin d’elle-même autant que faire se peut, mobile à la main, et qui au fond n'avait que désir comme les autres jeunes de leur âge: trouver l’âme sœur, se marier, fonder un foyer…
Les nuits de Jénine, où nous allions fumer la chicha dans quelques cafés grande baie vitrée donnant sur la ville calme. J’ai aimé Jénine, la grande ville, en contraste d’Hébron.
Hébron, où fallait passer des checkpoint, jeunes soldats, armes à la main. Hébron découpé par des colonies où des filets au dessus des rues empêchant les jets malveillants.
Ces longs, trop longs accueils, par des officiels tout droit sortis d’un film des années soixante, moustaches, cigarette au bec, leur ton pompeux, et leur lourd bureau de bois massif.
Les falafels de d'Abu Amine qui nous servait copieusement dans sa petite échoppe. Le même Abu Amine qui participait à tous nos entraînements.
Les taxis qui roulent et nous amènent, ou nous reconduisent dans et hors des territoires. La lumière, la terre aride qui défile, et cette boule d’émotions à l’arrivée comme au départ.
J'ai côtoyé des Palestiniens dignes, têtes hautes et dont le souci, pour la plupart, n'était pas de faire le djihad mais de survivre.
Quant à la société israélienne que j'ai effleurée ?
Jérusalem la mystique, si belle au crépuscule. Jérusalem et sa vieille ville, son dédale de ruelles, son marché, conduit à l'esplanade des mosquées, au mur des lamentations, ou au saint sépulcre. Les trois monothéismes.
Aussi Tel-Aviv la libérale, où nous sommes à plusieurs reprises rendus par la suite, sur la bonne idée d'Éric qui a le souci de nous offrir un sas de décompression, après de longs jours confinés. Tel-Aviv la dynamique . Fidèle à l'image que l'on s'en fait, un Miami teinté de Silicon Valley en Orient.
Mais je ne sais pourquoi, je perçois des fractures internes. Des poches de pauvreté, de la contestation… Mais ça n’est qu’une impression. Je ne l’ai pas assez côtoyée pour aller plus loin.
Ce que j'ai aimé dans ces différents voyages, c'est l'intelligence des organisateurs au premier chef Hervé. Ni militantisme, ni prosélytisme, mais le souci d'aider la partie faible, les Palestiniens, et de leur apporter par le sport un peu d'espoir. Je crois qu'Hervé, Éric, Didier le président de notre club, et celles et ceux qui les ont accompagné dans ce projet y sont parvenus.
J'ajoute aussi, que le but de ce projet Palestine était, quelques mois plus tard, au printemps ou l'été selon les années, de faire venir certains de nos hôtes. Des jeunes en majorité pour participer à notre grand tournoi annuel.
Pourquoi ces lignes ? Au-delà des souvenirs rapidement évoqués... Pour rendre justice à des Palestiniens trop souvent décrits dans leur majorité comme des extrémistes assoiffés de sang.
Pour rappeler l'importance, quand cela est possible, d'aller voir, ici ou là-bas, de ses propres yeux. Pour échapper aux images déformées des médias. J'ai pu constater de mes propres yeux le hiatus entre la réalité et ce qui était dit et partagé.
Enfin pour rappeler que là-bas, dans ce Proche-Orient compliqué, deux légitimités s'affrontent: celle d'Israël d'exister et celle trop souvent ignorée des Palestiniens à recouvrer terres et souveraineté.
Pour ma part, et ceci n'engage que moi, j'ai toujours cru qu'un seul Etat était la solution. Trop peu d'espace, le gruyère des territoires palestiniens, et surtout au fond, une grande proximité de ses deux peuples.
L'histoire se fait par et grâce à des hommes et des femmes de bonne volonté qui savent aller au-delà des cruautés du moment.
Certains, beaucoup, trop, des deux côtés diront oui mais... Chut !
Laissons place aux hommes et femmes de bonne volonté pour recoudre, des deux côtés les linceuls maculés de sang. Ces hommes et ces femmes existent. À eux maintenant.
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