C'était...hier

C’est étrange, depuis quelques années maintenant que je me livre à l’exercice qui consiste à capter notre époque, et tenter d’en sauver par les mots ce qui peut l’être, c’est étrange de constater que les années se suivent et se ressemblent… presque ! 2015, 2016, 2017… Et maintenant 2018 qui s’achève. Chacune aura charrié son lot d’épreuves: Charlie, Nice, loi travail, et maintenant les Gilets jaunes… Notre pays a été éprouvé, et est fatigué… Et d’autres épreuves sont encore devant nous.
2018: une deuxième étoile dont certains pensaient qu’elle suffirait à panser nos maux, nous en avions tant besoin. Étrange, dommage même, voire dangereux, que ce ne soit plus qu’à travers de grands événements sportifs que nous nous retrouvions tous ensemble. Mais c’est désormais ainsi.
Et puis, seulement quelques jours ont passé, et Benalla a déboulé tel un éléphant dans un jeu de quilles, et nous avons retrouvé alors nos guerres picrocholines. Comme une répétition générale de l'édition 2018 de notre interminable mélodrame national que l'on connaît depuis plus d‘un mois et demi à présent.
Alors dans les derniers jours qui nous séparent de 2019, et avant que 2018 ne sombre totalement, j’aimerai revenir sur ces deux tendances dont j’ai tenté de dessiner les contours tout au long de mes chroniques depuis 2015.
La première, que relève en creux la révolte de fin d’année, c’est à quel point nous avons perdu l’insouciance. Quel naïf ! me dira-t-on. Comment voulez-vous être insouciant, quand les fins de mois sont si difficiles, et que d’autres ont tout ! Je sais, je sais… Mais ce qu’on oublie, c’est qu’aucune prime si bénéfique et légitime soit elle ne nous rendra guère ce qu’au fond de nous, nous avons de plus cher et perdu les années allant: cette insouciance, cette légèreté qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, et qui est une part du génie français. Ce besoin de se retrouver, de faire de l’ensemble, par de-là les eaux glacées des réseaux sociaux, alors que tant de villes sont devenues si froides. Il y a beaucoup de cela dans l'occupation des ronds-points de nos villes “périphériques”.
C’était hier… il y a peu, j’ai vu par scories des étudiants, par une pluie fine et qui s’intensifait dans les rues de cette ville, Bordeaux, que je tente d’apprivoiser, déambuler, presque ivres comme on sait l’être à vingt ans. Aussi, des gens qui dansent, et qui veulent tout simplement être heureux le temps d’une dernière danse, ou des amoureux qu’un baiser transporte encore... Cela a été rassurant de le constater tandis que je m’échappais à vélo dans les rues trempées. C’était sans doute cela aussi le sens de la deuxième étoile: le plaisir, simple, d’être ensemble. Et de renouer avec, n’ayons pas peur des mots : le lyrisme, la beauté du sentiment, et la gratuité de l’autre.
Mais, le pendant de ces nobles sentiments c’est l'irrésistible montée du bruit et de la fureur. Le bruit démultiplié par cette information devenue continue, et la fureur accumulée par des années de frustrations économiques. Ce bruit de fond qui finit par tout couvrir donne aussi la terrible sensation qu’il sera bientôt impossible de dialoguer sereinement à l’ère des “post-vérités”. La violence, la haine suscitée à l’égard de notre Jupiter de président tombé de son Olympe, dont je ne me garderais bien de faire ici le juge de paix, est sans commune mesure, et est révélatrice de ce climat de tension permanente.
Un feu attisé par quelques idéologues médiatiques, improvisés intellectuels par la grâce des réseaux sociaux (auquel s'ajoute la surdité du pouvoir) oeuvrent à nous faire basculer dans l’irréparable. Il faut toujours lire, ou écouter en vidéo à notre ère numérique, ce que nous disent les maîtres de la propagande. Dans les écrits de Lénine ou Hitler, il y avait déjà la suite…
Ceux qui nous expliquent qu’il faut se débarrasser sans crier garde, aujourd’hui des migrants, demain des immigrés… Après-demain ? Ou bien que la démocratie, redevenue la gueuse -elle n’est, il est vraie, guère aidée par ses représentants- ne devrait plus qu’être que l’expression directe des instincts du moment, trouveront tôt ou tard, la triste voix pour les représenter. Et l’on peut déjà en apercevoir les contours édulcorés dans les personnes de Trump, Salvini, Orban.
Insouciance et légèreté d’un côté, bruit et fureur de l’autre, de quel côté penchera l’année qui va s’ouvrir : fille du diable ou du bon dieu ? On sait déjà que les deux se sont fort inégalement partagées le siècle dernier.
C’est étrange que nous puissions chaque 31 décembre trinquer à l’avenir quelque soit ce qu’il nous réserve. Mais après tout, à quoi d’autre pourrions nous boire ? Nous allons vers l’avenir, et non vers le passé… Si seulement ? Mais c’était hier. Et voilà déjà demain !
Très belles fêtes de fin d’années à tous...

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