2020 | UNE SEMAINE EN DECEMBRE
Le soleil revient. Après quatre jours de pluie ininterrompue. Elle a laissé des rues boueuses et de l'humidité. Mais les habitants sont heureux. Bien longtemps, trop longtemps que la pluie n’était pas tombée ainsi sur le Souss Massa. Cette pluie signifie aussi la fin des pénuries d’eau, et la perspective de légumes et de fruits en quantité et donc moins chers.
Dîner chez Sally pour le départ de Slimane le lendemain. Réunis entre Marocains, Britanniques notre hôte, un Américain, Kevin, une Slovène, Andreja, et une majorité de Français ce soir: Slimane, Clément, Marie et moi. L’ambiance est joyeuse. Après un bon repas, chilli vegan, coquelets farcis, moelleux au chocolat, du vin, et du thé, nous rentrons au-delà du couvre-feu instauré à nouveau la semaine dernière. Je redescends à pied en compagnie de mes deux voisins, dans un village endormi par le couvre-feu et animé par les aboiements de chiens à notre passage. Un vent chaud souffle annonçant une nouvelle semaine.
Mardi
Slimane s’en va après plus de trois semaines passées ici. Trois semaines de balades sur la plage, de longues discussions, de sport, de yoga et d’amitié en compagnie de mes récentes rencontres. Je me souviens encore de son arrivée tard la nuit un soir de début novembre. Masque noir, veste fermée, les traits tirés... Il avait pris dix ans. Il repart avec dix ans de moins. Effet Tamraght. En près d’un mois, j’ai appris à le connaître ; j’en avais que la vision de mes soirées d’antan.
VGE s’est éteint à 94 ans. Fin d’une époque. Une fois encore, il aura manqué sa sortie, cette fois noyé dans l’actualité Covid. Mais qui peut encore marquer l’époque au temps de l’info continue où une actualité chasse l’autre ? Avec ce bruit de fond pandémique. La reine d'Angleterre peut-être. Je regarde The Crown, la série. J’ai du mal à comprendre la polémique, mais je n’en suis qu’à la saison 2. Les Royal malgré leur froideur apparaissent aussi humains. Soixante-dix ans de règne, et la reine toujours bon pied, bon œil. La monarchie comme symbole, et élément d’incarnation d’un peuple. Les Français qui ont coupé la tête de leur roi, sans vraiment s’en remettre, pour choisir au final une monarchie républicaine boiteuse, devrait s’y intéresser avec moins condescendance.
Car observant, de loin, ce qui se déroule dans mon pays d’origine, la France, . En cette période, cela va-t-il mieux ailleurs ? La belle excuse ! Violences policières, violences à l’égard des forces de l'ordre, un pouvoir qui semble débordé et déliquescent, pas besoin de regarder ailleurs. Et comme si à la crise il fallait ajouter le ridicule, on prétend à présent les restreindre pour aller skier à noël ou de leur imposer de n’être que six à table à Noël ! Combien de temps les Français, grand peuple, vont-ils accepter cette infantilisation ?
Mercredi
On parle de vaccin. Bonne nouvelle !? Vraiment ? Fatigué d'argumenter, je ne peux pourtant que m’interroger. Comment croire à une nouvelle technologie, l’ARN messager, et dont on ne connaît pas grand chose à grande échelle ? Les laboratoires, dont il faut toujours se méfier, ont pour le moment partagé si peu de données. Et quid du vaccin chinois ?On voudrait croire en la parole de nos dirigeants mais quand ces derniers font preuve de pusillanimité quant à leur propre vaccination, que dire d’autre ?
Soirée chez mes deux voisins Kevin et Andreja, avec Clément. Séance d’acro yoga. Clément comme moi-même sommes béotiens dans la pratique. Mais on se prête au jeu avec Kevin qui est un très bon prof. Cette pratique est bien plus que de l’acrobatie, et elle demande confiance en l’autre, travail d'équilibre, et subtilité. Bon moment.
Jeudi
Téléphone pendant plus d’une heure avec Slimane. Désaccord. L’amitié c’est du désaccord et du dialogue.
Cours en ligne avec Karolina. Séance de tonification musculaire. Elle est à fond et résolue, ce qui fait toujours plaisir. Le corps qu’on tente de soigner, il faut en prendre soin, un minimum. J’en suis convaincu depuis un bon moment.
Aujourd’hui, si on ne manipule pas le vivant ou ne fabrique pas de pilule en laboratoire, on pense que les solutions “simples” comme l’activité physique sont inopérantes. Un corps actif peut entraîner le reste, sans tomber l’excès. C’est le risque. Trouver l’équilibre, une fois encore. D’ailleurs, je n’ai renoncé ni totalement au tabac ni à l’alcool, bien que pour ce dernier ma présence ici ait entraîné une limitation naturelle !
Vendredi
Appel quotidien avec maman. Parmi les sujets abordés, elle me dit qu’au Cameroun malgré la légèreté des dirigeants, les populations pour lutter contre la covid ne se promène plus sans leur bouteille de Kinkéliba, cette infusion de plantes du même nom. Jeune, elle en prenait déjà pour lutter contre le palu et dont les vertus sont déjà reconnues pour certains troubles digestifs ou hépatiques. Ça marche ? Ces derniers mois nous ont appris la réserve face aux solutions trop belles. Je note seulement que loin des pronostics initiaux sur la catastrophe attendue (souhaitée ?) l’Afrique ne s’en sort pas si mal.
Depuis près d’un an que je suis ici, je regarde du côté de l’Afrique. Le Maroc lui-même, l’a compris, peut-être pas encore la population, mais du moins les dirigeants qui ont décidé d’y investir. Avec cet écueil, sans lequel rien ne pourra être fait dans un proche ou lointain avenir : l'investissement dans l’éducation de base.
Mehdi passe à la maison avec un ami de façon impromptue. Ils bossent sur son projet de lampe minimaliste qu’ils souhaitent prochainement mettre en vente. Ils sont dans leur vingtaine, plein de projets, comme tant de jeunes gens ici. Le Maroc moderne ? Faire attention à trop de raccourcis. Mais une dynamique est enclenchée.
Je leur dispense quelques conseils d’ordre marketing. Ils écoutent avec intérêt en sirotant le pastis, à ma surprise, qu’ils ont amené avec eux. Je ne suis pas trop mauvais. Je constate une fois de plus que je suis assez bon pour conseiller les autres, mais d’une nullité crasse pour moi-même. Les conseillers ne sont pas payeurs. Et surtout, j’ai fini par admettre qu’on ne peut avoir qu’une vision juste de soi-même qu’avec la distance de l’autre. Seul, on finit en boucle.
Samedi
Coucher tard, sur les coups de 05h00 à parler avec un ami. De tout, de la période, nous, les hommes, les femmes, la sexualité… Dès qu’on parle de la vraie vie.
Cours à Taghazout en fin de journée pour remplacer au pied levé Andreja. Deux personnes. Je m'attendais à un jeune couple. Deux jeunes trentenaires, deux potes, un français, un marocain qui ont monté leur boîte sur Agadir et qui sont venus passer le week end pour se détendre. Alors que la séance s’achève, debout, je regarde la mer en surplomb du haut de la terrasse ; la plage est vide, confinement oblige. La nature sauvage avec le soleil se couche. Le spectacle est splendide, et je suis saisi d’une vague d’émotions.
Taxi au retour qui essaie de m’empapaouter, qui me la met tout simplement. Pas le choix, dans 30 minutes les commerces seront fermés. A 20h00 tout ferme. A rebours de la jurisprudence que j'ai adoptée depuis le début, garder son calme en toute situation, je ne cache pas ma colère. Peu importe l’argent, la somme est ridicule, mais être pris pour "un imbécile" de cette façon, c’est insupportable. En descendant, il glisse un “excuse-me” dont je doute de la sincérité. Peu importe, je garde la bonne humeur du cours que je viens de donner.
Sur les Champs-Elysées, rue principale qui est très loin de la version française, je croise Kamar. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre. Cela faisait plusieurs semaines que l’on ne s’était pas croisé. Je repars avec mon french burger pour lequel je n’ai plus qu’à dire pour le commander : comme d’habitude.
Dimanche
Cours d’économie avec Tom à 11h. J’apprécie ce jeune homme de terminal qui a compris que bien que ne souhaitant pas continuer dans cette voie, que pour se préparer à l'examen il faut s’y prendre le plus tôt possible.
Épuisé néanmoins par ces deux derniers jours de mauvais sommeil. Je me traîne le reste de la journée. Vers 17h00, après l’appel téléphonique avec maman, je me décide à aller faire mes courses.
Ce soir, tout comme la veille en regardant la baie de Taghazout, j’éprouve des sentiments mêlés, car si comme le magazine Times l’a mis en une, 2020 est la pire année de l’histoire (j’ai quelques réserves), c’est aussi étrangement celle qui aura vu m’a liberté s’affirmer. J’ai été par épisodes, très heureux, et notamment ici.
Sentiments mêlés en ayant à l’esprit “Le monde d'hier" de Stefan Zweig. Réfugié au Brésil en 1942, face au deuxième suicide de l’Europe comme il le dit si bien, écrivant ses mémoires, il décide ensuite de se donner la mort avec son épouse. La mort le grand absent, pourtant elle n’a cessé de rôder autour de nous toute l'année, sans que jamais nous l’abordions de front.
Accepter de mourir pour que la vie garde un sens... Voilà ce à quoi je me suis résolu depuis longtemps. Et si bien entendu, je suis à mille lieux d'éprouver ce sentiment de désespoir de l'auteur autrichien, au contraire je garde l'espoir chevillé au corps, j'éprouve des sentiments mêlés face à cette pièce de théâtre, 2020, tragédie ou opéra-comique, et dont nous sommes les acteurs, et dont, si le décor est resté identique, les dialogues, les mots ne sont plus que les révélateurs de la folie qui s’est saisie de nous.
Mais cette fois, aucun Churchill pour s'élever contre l'effondrement. Si on ajoute l’Amérique au rendez-vous absent, avec un Trump à tort ou à raison (tout semble pencher pour la première obtention) qui s’enfonce un peu plus dans le déni, le tableau est sombre.
Quelle année ! Qui n’aura pas eu au moins une fois les yeux mouillés en 2020 n’est pas humain. Nous n’aurons pas eu besoin de terroristes pour renoncer à notre mode de vie, et continuer le travail de sape de notre civilisation. L’Europe s’y est prise seule pour nous mettre sous cloche et museler ses populations. Peut-être que cette fois-ci le réveil ne viendra ni d’un grand homme ou d’une grande femme, mais des masses. Qui sait...
2020, s’efface peu à peu, tenter d’en écrire le dernier acte.
Melvin

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