Génération M - #2 - Bye Bye Baby Boom

    Avant de continuer cette exploration de ce que fut ma carrière et les choix qui l’ont guidée, il importe de marquer une pause, pour répondre à cette question: d’où venons-nous ?

>> Premier volet: Génération M - 45, rue des Saints-Pères

    Pauvres parents ! Des mots que je me suis souvent répétés, à mon sujet, et de beaucoup de mes amis quant à nos choix professionnels. Pourquoi sommes-nous à ce point en rupture au regard de la génération de nos aînés ? Car il n’y a pas de génération spontanée, chacun de nous est relié à ceux qui le précèdent, même dans le refus de suivre les pas de nos aînés.

    Si le tel père, tel fils a pris du plomb dans l’aile, il me semble qu’il y avait comme un accord tacite entre nos géniteurs et nous : la poursuite d’un mode de vie, celui hérité des trente glorieuses.

    D’où venons-nous ? Pour ma part, je suis un enfant du siècle dernier, né de parents immigrés africains, et installés en France au début des années soixante, pas si différents de millions d’autres immigrés arrivés à cette époque ou des natifs d’alors, qui ont vécu les décennies ayant suivi la reconstruction dans un mouvement d’expansion continue jusqu’au milieu des années soixante-dix. Ces trentenaires bénis des dieux qui ont connu trois décennies, rare moment de l’histoire, où tout semblait possible : l’amour libre, l’ascension économique et sociale, l’imagination. S’il est bon ton aujourd’hui de les accuser de tous les maux pour avoir vécu de manière dispendieuse, je n’entends pas instruire leur procès ici.

    Pas de procès, pas plus de “c’était mieux avant”. Mais tenter de comprendre à quel moment s’est opéré la rupture ? Planter le décor pour saisir ce qu’il nous est arrivé à nous, trentenaires ou quadras du troisième millénaire dans notre refus de pérenniser ce modèle.

    J’ai grandi en banlieue parisienne au sein de ce qu’on appelait alors la classe moyenne. Une mère sage-femme, un père avec des rêves de cinéaste et qui s’est vite éloigné. Comme pour un grand nombre de mes amis d’alors, beaucoup de leurs parents se sont séparés ou ont divorcé sous fond de libération des mœurs. Mais leur existence s'appuyait sur un socle fort: leur travail, leur emploi. Avant que n’arrive le chômage de masse, et ce mot, crise ou crises au pluriel, qui allait faire vaciller le socle du baby-boom à partir des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.

    Mais pour nos parents, la majorité disons, passer vingt, trente, voire quarante ans pour certains, au sein de la même entreprise paraissait tout à fait normal. Cela nous semble désormais inenvisageable. Ce qu’on appellerait du sacrifice, sens du devoir ou des responsabilités. Ou tout simplement, la question ne se posait pas d'aller voir ailleurs, ou de papillonner pendant des années. Le modèle était posé : trouver un boulot fixe, après quelques tâtonnements éventuellement, puis y rester. Ensuite, acquérir un bien pour ceux qui le pouvaient, son pavillon de banlieue, élever sa famille, pour enfin basculer vers une retraite paisible et bien méritée.

    S’ils prônaient la stabilité, nous sommes plutôt comme des joueurs de poker ou de casino qui veulent remporter la mise rapidement et faire tapis. Mercenaires vous dis-je, génération M !

    Ce “modèle” issu du consensus de l’après-guerre, comme dans bon nombre de pays occidentaux, était dominé par un mot: la sécurité. Le deal était clair: travaillez et on vous assure une sécurité de plus en plus étendue (même s’il ne faut pas méconnaître les luttes sociales et politiques qui ont permis ces avancées). Une période symbolisée par les deux mamelles des trente glorieuses: la sécurité sociale au travers de l'État providence et le CDI offert par l’entreprise. La mondialisation, la globalisation d’impulsion libérale feront imploser ce modèle, pour ne laisser que des miettes. 

    Mais pour le moment, trois lettres, CDI, désignant un contrat qui par son caractère indéterminé font figure de bouclier contre les aléas de la vie. Cela ne se refuse pas. Et pourtant… Combien sommes-nous à nous être assis sur la proposition d’un CDI, sous le regard de parents incrédules ou éberlués ? On y a cru, puis nous nous sommes détachés de cette belle promesse. Là est sans doute la rupture avec nos aînés.

    Ce qui me surprend au regard de l’époque actuelle, c'est aussi à quel point les relations sociales au sein de l’entreprise et en dehors se sont distendues. Il existait alors des formes de solidarités au sein de l’entreprise et se prolongeant au dehors. Les noëls de la clinique dans laquelle travaillait ma mère, c'était quelque chose comme les cadeaux que l’on recevait !

    Aussi, peut-être est-ce ma mémoire qui tente d’embellir un passé révolu, j’ai le sentiment d'une plus grande mixité sociale. À la table de la maison, se retrouvaient le gynécologue, l’aide soignante ou la femme de ménage. Enfants, on était gardé parfois plusieurs jours par des collègues, on se mélangeait (du racisme pouvait certes exister) sans penser à la couleur de peau ou la nommer excessivement. On était encore loin me semble-t-il de cette France à la découpe, black, blanc, beur… 

    Ce contrat social où il fallait travailler dur et longtemps était embelli par les congés payés et l'accession aux biens de consommation. C’est l’époque des autoroutes du soleil, la télévision de masse, du cinéma noir et blanc puis couleur. Du pain et des jeux diront les moins complaisants.  Je suis un enfant de la télé, j’en ai regardé de la télévision !  De très mauvaises séries (Shérif fais moi peur…), et des dessins animés (Capitaine Flamme, Albator, Goldorak et autres du club Dorothé…) mais j’ai lu aussi, beaucoup !

    Ce qui succède à ce modèle qui, vaille que vaille, proposait une amélioration des conditions de vie ? Cynisme et nihilisme ainsi que profit et rentabilité. Années 80 et 90, fin des idéologies. Chacun tente alors de sauver sa peau, et l'individualisme progresse.

La gauche mitterrandienne, après avoir essayé de "changer la vie" jusqu’en 1983, a commencé, aidée par la droite, à vendre la France à l’encan sous fond d’adaptation à la mondialisation. Tout cela accompagné d’un parfait cynisme des entreprises qui n’ont plus, grandes ou petites, que le seul souci la profitabilité et la rentabilité teintées du doux mot de flexibilité. Si gagner de l’argent constitue un impératif pour une entreprise, ne soyons pas naïf, la ressource humaine ou les collaborateurs sont devenus dans biens des cas, des variables d’ajustement, tout cela habillé d’un discours managérial prônant la bienveillance, l’éthique ou la responsabilité sociale. Des mots !

    Face à ce constat, s'est installé un certain nihilisme, je crois, parmi ma génération, à mesure aussi de nos premières expériences professionnelles. On a fini par ne plus croire à une hypothétique retraite ou à la sécurité même. À la sécurité a succédé la précarité. Précarité forcée dans un premier temps synonyme de misère, puis c'est devenu le signe que plus rien ne dure. Alors autant faire le gros coup, tenter des expériences en espérant faire tapis et embaucher la mise.

    Il est clair que je me suis inscrit, comme beaucoup de ma génération, dans ce sillage. Jusqu’à un certain point, car je croyais alors, assez naïvement je dois l’admettre, que s'intéresser aux affaires du monde, c’était non pas le sauver, mais y prendre sa part, et refuser l’indifférence. À travers la grande messe du 20h00, avant les chaînes d’information continue, voyant à la chute du mur de Berlin, ou à la fin de l’apartheid ou les premiers missiles au-dessus de Bagdad, j’étais au coeur de l’histoire.

    Comme un désenchantement au regard des espoirs de la fin du siècle: l’après chute du mur de Berlin, la victoire de l’ouest et du libéralisme, l’avènement d'une mondialisation heureuse... C’est au milieu des années quatre-vingt-dix, dans ce bouillonnement d'un nouveau monde émergent, que quelques brèches ont fait jour. Avec le Rwanda puis la dislocation de l'ex-Yougoslavie, sans en comprendre alors tous les ressorts, implicitement je me disais que quelque chose clochait. Au printemps 1994 quand les premiers témoignages des massacres commençait à nous être reporté depuis le Rwanda, je ne parvenais pas à crois qu'un génocide puisse être encore possible en cette fin de siècle. Avec l’ex-Yougoslavie, j'ai pressenti la fragilité des ensembles politiques.

    Pourtant, je restais animé d’un indéfectible optimisme : qu’à cela ne tienne, je ne ferai pas carrière, mais j’avais la volonté de découvrir le monde, de vivre des expériences, convaincu aussi que l’on ne vit guère sa vie pour faire plaisir à ses parents. Être responsable de soi-même, tenter d’être le moins encombrant possible (ça n’a pas toujours été m’ont cas !) et trouver sa voie. J'en faisais mon credo. 

    Ruptures et continuités...

    La rupture, cela a donc été le refus de suivre cette dévotion à l’entreprise sous la promesse d’une hypothétique sécurité, la volonté au contraire d’inventer sa vie, avec les illusions que cela comporte. 

    Continuités sur le plan d’un certain rapport au monde  ; ces enfants du baby-boom m’ont élevé, au propre comme au figuré. Mes parents bien entendu, mais aussi les professeurs croisés tout au long de ma scolarité, ou les amis de la famille qui m’ont transmis ce monde de l’avant internet et des réseaux sociaux où il fallait appeler sur un téléphone fixe ou aller en bibliothèque pour faire une recherche et donc un autre rapport au temps, assez éloigné de l’instantanéité du moment. 

    Bye bye baby boom… À mesure que s’en vont, immanquablement, celles et ceux qui l’ont incarné, il nous reste, à nous leurs enfants, imprégnés du parfum de cette époque, à prendre une relève que nous peinons à assumer. En rupture certes, et même si j’ai des choses à leur reprocher, je les ai pour ma part bien aimés.

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