Génération M - #1 - 45 Rue des Saints-Pères
Génération M - Juillet 1994 - Juin 1997
45 Rue des Saint-Pères
Sans doute un moment fondateur. Septembre 1994, le bac en poche depuis début juillet, dix-huit ans le mois précédent. J'ai traversé le lycée sans accro, et me voilà lancer dans le grand bain des études supérieures. Ce sera médecine.
Pourquoi un tel choix qui au final sera assez éloigné de mes attentes ? Au printemps dernier quand il a fallu faire ses vœux pour l’après bac j’étais toujours indécis. J’ai passé mon année de terminale dans un nouveau bahut parisien, le très chic lycée Buffon d’où, depuis ma salle de cours, je vois s’élever la tour Montparnasse.
Pourquoi un tel choix qui au final sera assez éloigné de mes attentes ? Au printemps dernier quand il a fallu faire ses vœux pour l’après bac j’étais toujours indécis. J’ai passé mon année de terminale dans un nouveau bahut parisien, le très chic lycée Buffon d’où, depuis ma salle de cours, je vois s’élever la tour Montparnasse.
Un changement en tout début d’année qui mêle l’excitation de la nouveauté et son lot de difficultés. Je suis le petit nouveau, et j’entre de plain pied dans un univers de compétition où les ambitions, feutrées, sont déjà affirmer chez la plupart de mes condisciples.
Je me souviens que, je ne sais par quels miracles, je parviens à un devoir de sciences-nat, à me hisser dans le top trois de la classe. Étonnement de ma part, et surprise de mes camarades. L’un d'eux, Marc, me glissera, un jour alors que l’on marchait en rentrant sur le boulevard Pasteur, “tu es plutôt doué pour…”. J’ignore s’il voulait faire référence à mon origine sociale ou une autre…
Je me souviens que, je ne sais par quels miracles, je parviens à un devoir de sciences-nat, à me hisser dans le top trois de la classe. Étonnement de ma part, et surprise de mes camarades. L’un d'eux, Marc, me glissera, un jour alors que l’on marchait en rentrant sur le boulevard Pasteur, “tu es plutôt doué pour…”. J’ignore s’il voulait faire référence à mon origine sociale ou une autre…
Cela m’a fait sourire. Son père est médecin, et il se dirige tout naturellement vers la même carrière. Tel père, tel fils. Il n’y a que peu d’intrus dans ce milieu…
Si j’ai été plutôt bon élève en seconde et en première dans mon lycée de banlieue, ce qui m’a permis d’arriver au tout début d’année à Buffon, mes deux derniers trimestres de terminale ne m’ouvrent pas les voies royales que sont les classes prépas. Je ne suis pas ignorant des différents choix qui existent: sciences-po, écoles de commerce ou d’ingénieurs. Je ne peux guère plaider la carte de l’ignorance. Mais j’ai c’est la direction prise par la plupart de mes camarades d’un an. Pour ne pas déchoir, j’opte pour médecine. C’est un concours, difficile, excessivement difficile, mais dont l'inscription est libre.
Mais n’ai-je pas jeune passé des heures à observer le vivant dans le jardin, ou demandé un microscope en cadeau de noël, et même disséqué un cœur de bœuf en étant allé l'acheter chez le boucher ? La mécanique du vivant et ses mystères m’inspirent, et les études de médecine me paraissent donc un assez bon choix. Pour le moment…
Me remonte un autre souvenir parmi d’autres de cette dernière année de lycée, et qui illustre bien mon caractère à l’époque. Nous sommes assis côte à côte en plein cours de maths, François et moi ; je ne sais plus trop ce que mon imagination invente, mais il me lance tout de go: “Tu es juste victime de tes illusions !”, et il reprend le fil du cours. J’en reste coi. C’était dit sans brutalité et plutôt avec bienveillance. D’ailleurs, il me faut le remercier, s'il m’a fallu un certain temps pour encaisser ces quelques mots, ils sont d’une rare justesse. Car à l’époque, il est hors de question que la réalité s’impose à moi ! Non ! Mes rêves, mes désirs seront plus forts. Il en sera un peu autrement. Mais déjà cette volonté de n’en faire qu’à sa tête.
Au cours du mois de septembre, les vacances d’été passées, je m’étonne de n’avoir rien reçu de ma nouvelle fac. Je décide de me rendre rue des Saints-Pères dans le 6ème arrondissement. Le vieux bâtiment majestueux aux lourdes pierres à deux pas de l’église st germain des prés abrite une des meilleures facultés de médecine de Paris. Ça grouille de partout quand je franchis la porte, les cours ont commencé depuis plusieurs jours, et les aspirants sont prêts à tout donner et sacrifier pour
Je dois avouer que c’est une claque dont j’ai du mal à me remettre. Dans le grand amphi du 45 rue des Saints-Pères, un prof sur pupitre lit un cours de physique qui parle de la composition de l’atome. Que fais-je là !? Pour moi la médecine, c’était . Encore un fois, victime de mes propres illusions…
Il est clair que je ne serai pas médecin. Si j'ai une conception complètement faussée du métier et des études qui y mènent, je suis conscient des sacrifices que cela demande. Et surtout, la procédure du numerus clausus, en limitant le nombre de places après la première année préparatoire, n’autorise que deux tentatives.
Si j’ai été plutôt bon élève en seconde et en première dans mon lycée de banlieue, ce qui m’a permis d’arriver au tout début d’année à Buffon, mes deux derniers trimestres de terminale ne m’ouvrent pas les voies royales que sont les classes prépas. Je ne suis pas ignorant des différents choix qui existent: sciences-po, écoles de commerce ou d’ingénieurs. Je ne peux guère plaider la carte de l’ignorance. Mais j’ai c’est la direction prise par la plupart de mes camarades d’un an. Pour ne pas déchoir, j’opte pour médecine. C’est un concours, difficile, excessivement difficile, mais dont l'inscription est libre.
Mais n’ai-je pas jeune passé des heures à observer le vivant dans le jardin, ou demandé un microscope en cadeau de noël, et même disséqué un cœur de bœuf en étant allé l'acheter chez le boucher ? La mécanique du vivant et ses mystères m’inspirent, et les études de médecine me paraissent donc un assez bon choix. Pour le moment…
Me remonte un autre souvenir parmi d’autres de cette dernière année de lycée, et qui illustre bien mon caractère à l’époque. Nous sommes assis côte à côte en plein cours de maths, François et moi ; je ne sais plus trop ce que mon imagination invente, mais il me lance tout de go: “Tu es juste victime de tes illusions !”, et il reprend le fil du cours. J’en reste coi. C’était dit sans brutalité et plutôt avec bienveillance. D’ailleurs, il me faut le remercier, s'il m’a fallu un certain temps pour encaisser ces quelques mots, ils sont d’une rare justesse. Car à l’époque, il est hors de question que la réalité s’impose à moi ! Non ! Mes rêves, mes désirs seront plus forts. Il en sera un peu autrement. Mais déjà cette volonté de n’en faire qu’à sa tête.
Au cours du mois de septembre, les vacances d’été passées, je m’étonne de n’avoir rien reçu de ma nouvelle fac. Je décide de me rendre rue des Saints-Pères dans le 6ème arrondissement. Le vieux bâtiment majestueux aux lourdes pierres à deux pas de l’église st germain des prés abrite une des meilleures facultés de médecine de Paris. Ça grouille de partout quand je franchis la porte, les cours ont commencé depuis plusieurs jours, et les aspirants sont prêts à tout donner et sacrifier pour
Je dois avouer que c’est une claque dont j’ai du mal à me remettre. Dans le grand amphi du 45 rue des Saints-Pères, un prof sur pupitre lit un cours de physique qui parle de la composition de l’atome. Que fais-je là !? Pour moi la médecine, c’était . Encore un fois, victime de mes propres illusions…
Il est clair que je ne serai pas médecin. Si j'ai une conception complètement faussée du métier et des études qui y mènent, je suis conscient des sacrifices que cela demande. Et surtout, la procédure du numerus clausus, en limitant le nombre de places après la première année préparatoire, n’autorise que deux tentatives.
Et après ? Pour ceux qui ont connu deux échecs sont à ramasser à la petite cuillère reste entrer à la fac ou des filières moins prestigieuses mais non moins utiles, comme kiné ou infirmier. Mais la plupart en sortent lessivés, dégoûtés, avec une estime d'eux-mêmes en deçà de zéro. Tout sauf cela pour moi !
Ma lucidité me pousse à très vite faire un choix: pourquoi perdre deux années précieuses de ma vie à faire semblant de suivre des études pour une profession que je n’exercerai pas ? Au sortir du lycée, j’ai envie de vivre, d’être autre chose qu’un élève, de me frotter au “monde réel”. Quitte évidemment à revenir quand il le faudra à mes chères études. Cette dualité, on le verra, sera une constante dans mon parcours: le concept et le réel !
Je ne reviendrai pas dans ce vieux bâtiment mais le quartier m'inspire. À deux pas de là se trouvent le café de Flore ou la maison de Serge Gainsbourg. Le Paris intellectuel se trouve ici ! Je déambule dans tout le quartier latin, faisant les librairies, longeant les quais, m’asseyant des heures à dans des cafés.
Dans la petite bande d'amis, je ne suis pas le seul à avoir choisi la voie médicale et à nourrir quelques doutes. Nicolas, on se connaît depuis le collège, est lui aussi inscrit dans une autre fac parisienne. Comme moi, il a déserté les amphis. Il a lui aussi abandonné sa première année. Il en n'a encore rien dit à ses parents. Le matin, il se lève, en même temps que ses parents qui se préparent à aller au travail, il fait mine lui aussi de se diriger vers la fac. Puis franchis la porte, il retourne dans son lit ! On s’appelle, et on squatte chez lui ou chez un autre dont les études inspirent tout aussi peu. Ça fume, ça boit. Je me souviens qu’un après-midi on s’essaie à cette nouvelle bière, la 8/6, que l’on boit comme de véritables ados et finit par très vite nous tordre les boyaux !
Pour ma part, je n’ai pas l’intention de cacher à ma famille ma disgrâce bien longtemps. Mais comment le dire à ma mère ? En tant que sage-femme elle est ravie d'imaginer que le dernier de ses enfants sera médecin. Lui confier que j’abandonne avant même d’avoir livré bataille sera sans nul doute un déchirement.
Je la remercie de ne pas avoir mis trop de pression sur moi. Sa déception a été évidente mais elle ne l’a pas manifestée outre mesure. Elle a tenté de comprendre mes motivations d’abandonner sans me presser. Comme souvent elle trouve mystérieuses mes justifications sans pour autant me rendre “coupable” de mes choix. Déjà elle me fait confiance dans ma capacité à assumer mes décisions. Mais, si elle tolère que je passe une année de glandouille pour me retrouver, il n’en sera pas de même l’an prochain. Pas question que cela s’éternise si je reste à la maison. Sage attitude de sa part.
Que vais-je faire maintenant ? Je vais aller de fêtes en soirées en grande partie dans ces derniers mois de l'année avec la petite bande. La fête, mais pas seulement ; je me relève peu à peu de ma torpeur de l’été et de l’automne.
De longues balades dans les rues de Paris, beaucoup de lectures, désordonnées mais fécondes pour la suite. C’est à cette époque que s’affirment ma passion pour la littérature et l’écriture bien que je n’ai encore aucune idée précise de ce que je veux écrire. En fait, j’ai des rêves, un peu vains, de gloire comme on peut en avoir à vingt-ans.
Je ne sais plus trop comment m’est venue l’idée mais je décide à l’hiver de préparer un autre bac. Disposant d’une formation scientifique, pour entrer plus facilement en sciences politiques. J'aurais ce deuxième bac littéraire que je prépare seul et à distance, pour lequel j'obtiens d’assez bonnes notes, mais j'échoue à décrocher la mention très bien qui m’aurait permis d’intégrer un institut d’études politiques sur dossier.
Qu’à cela ne tienne pendant l'été, j’en prépare le concours. Je me remets au juillet et août 95, replié en Seine et Marne chez des amis de la famille qui sont d’une rare patience et tendresse à mon égard. Mais en voulant la jouer solo, une fois de plus, j’échoue. Encore un échec !
Il ne me reste donc qu’à retourner la fac pour la rentrée. Mais en quelle discipline ? J'aimerais faire de la philosophie, cela correspond à mon tempérament. Pour ensuite faire quoi ? Enseigner ? Je n'en sais trop rien pour le moment mais j'ai envie d'aller en philo. Je me souviens de cette discussion avec mon frère aîné de six ans qui étudiait alors en économie. Il me conseille d'emprunter son chemin.
Il ne me reste donc qu’à retourner la fac pour la rentrée. Mais en quelle discipline ? J'aimerais faire de la philosophie, cela correspond à mon tempérament. Pour ensuite faire quoi ? Enseigner ? Je n'en sais trop rien pour le moment mais j'ai envie d'aller en philo. Je me souviens de cette discussion avec mon frère aîné de six ans qui étudiait alors en économie. Il me conseille d'emprunter son chemin.
Quand on ne fait pas de sciences mais qu'on en a les aptitudes, les études d'économie, généralistes, ouvrent bien plus de portes que la philo me dit-il. Je trouve le raisonnement un peu cynique mais je le prends en considération. Je serai bien économe à la rentrée prochaine après une année de chaos, mais riche d’expériences.
Je remercie mon frère pour ce conseil que j’ai suivi. C'est sans doute une de mes forces, écouter les bons conseils au bon moment. Je ne suis pas tout à fait déconnecté de la réalité, j'y reviendrai.
À la rentrée 95, je débute donc mon cycle d'études d'économie que pour le coup je mènerai à son terme. La première année cependant est difficile. Je dois assimiler des raisonnements qui ne sont pas les miens. Mes notes du premier semestre sont passables. Je m'en sors grâce aux mathématiques et aux statistiques. Comme de beaux restes de ma formation scientifique au lycée ! Mais la microéconomie, la macroéconomie, ainsi que la comptabilité restent des mystères pour moi qui relèvent de l'ésotérisme. Cette fois-ci cependant, j'ai décidé de m'accrocher.
1995, les grandes grèves de l’hiver d’une France qui peine à sortir d’une interminable crise fin de siècle. Dans le même temps, ce sera, entre autres, la génération “La haine”, ou NTM, je passerai à côté... Mais une génération de français talentueux se lève. une France colorée s’affirme aussi (black, blanc, beur et la coupe du monde de 98) ainsi qu’une french touch electro prête à conquérir le monde.
La France ignore alors, tout comme moi d’ailleurs, qu’elle sera de nouveau heureuse, au tournant du troisième millénaire. Mais pour le moment, il me reste avant à franchir 1996, et 1997 !
Je remercie mon frère pour ce conseil que j’ai suivi. C'est sans doute une de mes forces, écouter les bons conseils au bon moment. Je ne suis pas tout à fait déconnecté de la réalité, j'y reviendrai.
À la rentrée 95, je débute donc mon cycle d'études d'économie que pour le coup je mènerai à son terme. La première année cependant est difficile. Je dois assimiler des raisonnements qui ne sont pas les miens. Mes notes du premier semestre sont passables. Je m'en sors grâce aux mathématiques et aux statistiques. Comme de beaux restes de ma formation scientifique au lycée ! Mais la microéconomie, la macroéconomie, ainsi que la comptabilité restent des mystères pour moi qui relèvent de l'ésotérisme. Cette fois-ci cependant, j'ai décidé de m'accrocher.
1995, les grandes grèves de l’hiver d’une France qui peine à sortir d’une interminable crise fin de siècle. Dans le même temps, ce sera, entre autres, la génération “La haine”, ou NTM, je passerai à côté... Mais une génération de français talentueux se lève. une France colorée s’affirme aussi (black, blanc, beur et la coupe du monde de 98) ainsi qu’une french touch electro prête à conquérir le monde.
La France ignore alors, tout comme moi d’ailleurs, qu’elle sera de nouveau heureuse, au tournant du troisième millénaire. Mais pour le moment, il me reste avant à franchir 1996, et 1997 !

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