La Tuerie de Chevaline - Episode 1

L’après-midi bascule : découverte macabre

Mercredi 5 septembre 2012. Le soleil de fin d'été réchauffe les feuillages encore verts de la forêt savoyarde. Les montagnes alentour projettent une ombre douce sur la route forestière de la Combe d’Ire, où règne un calme paisible, presque mystique. Le silence des bois, entrecoupé du chant des oiseaux et du crissement des pneus sur le gravier, donne à cette après-midi une apparence de journée ordinaire. Il est un peu plus de 15h45 lorsque William Brett Martin, un Britannique retraité passionné de VTT, enfourche son vélo pour une balade tranquille. En vacances dans la région, il apprécie la beauté silencieuse de cette nature intacte, loin de l’agitation du monde.

William roule à un rythme régulier, respirant l'air pur et profitant de chaque virage de cette route escarpée. Tandis qu'il gravit lentement la pente, un break BMW rouge bordeaux le dépasse. Le conducteur, seul à bord, garde les yeux fixés sur la route. Quelques instants plus tard, un autre cycliste, en tenue de course, le double à vive allure. Tenue ajustée, casque, posture affûtée : un sportif chevronné, pense-t-il. William les perd rapidement de vue dans la montée, mais quelque chose dans cette succession rapide de rencontres lui laisse une impression diffuse, une légère tension dans l'air.

Quelques minutes plus tard, le retraité arrive sur le petit parking isolé où la route s'arrête net. Il met pied à terre. Le silence est épais, presque oppressant, le lieu vide, trop calme. Le vent semble s'être arrêté. Une atmosphère de fin du monde règne. Mais une vision d'horreur le fige sur place : le break qu’il a vu tout à l’heure est là, coincé en marche arrière contre un talus, moteur encore en marche, le bruit sourd et irrégulier du moteur résonnant dans l’air figé. Près du véhicule, étendu sur le sol, le cycliste qu’il a croisé quelques instants auparavant. Il est à terre, la tête tournée sur le côté, immobile.

Puis, William aperçoit une fillette, à même le sol. Elle tente de bouger, lève faiblement la tête avant de la laisser retomber, épuisée. Le sang macule ses vêtements. William croit d'abord à un accident de la route. Une collision brutale entre voiture et vélo ? Peut-être le conducteur a-t-il reculé sur le cycliste ? Peut-être la fillette était-elle passagère, projetée hors du véhicule ? Tout semble confus, incohérent, mais réel.

Pousser par l’instinct, William s'approche. Il se dit qu'il faut empêcher la voiture, dont le moteur tourne encore, de repartir et de rouler sur le corps du cycliste. Il prend une pierre, brise une vitre latérale, tend la main à travers l'ouverture, et coupe le contact. Un silence plus lourd encore s'abat alors. Il jette un regard à l'arrière du véhicule et ce qu'il voit le glace : deux femmes, assises à l'arrière, sont visiblement mortes. L'une semble plus âgée, l'autre plus jeune. Les vitres étoilées, les douilles, les corps figés : il comprend. Ce n'est pas un accident. C'est un carnage.

Pris de panique, il tente d'appeler les secours. Il sort son téléphone de sa poche, mais aucun réseau. Pas de signal. Rien. Le parking est un cul-de-sac à flanc de montagne, perdu dans les bois. Et soudain, une pensée l'envahit, aussi violente que glaçante : s'il y a eu un tueur, où est-il ? Et s'il était encore là, caché derrière les feuillages, dans les fourrés, à l’affût ? William regarde autour de lui. Aucun mouvement. Aucun bruit. Mais l'angoisse le saisit. Il enfourche son vélo, les jambes tremblantes, et dévale la route qu'il vient de monter, paniqué, comme s'il était poursuivi.

C'est alors qu'il croise un véhicule qui monte : une Citroën Berlingo grise. Trois personnes à bord. Il s'interpose, leur fait de grands gestes désespérés. C'est Philippe, guide de haute montagne local, qui monte avec deux amis pour une randonnée dans le massif des Bauges. William, essoufflé, le bras taché de sang, les yeux écarquillés, leur barre la route.

Il s’adresse à eux dans un français hésitant, mêlé d’anglais : « Il y a des morts plus haut ! Ne montez pas ! C’est affreux ! Un carnage ! Une voiture, un cycliste, une petite fille ! »

Philippe, surpris, prend la mesure de la gravité. L'homme semble sincèrement bouleversé. Il sort son téléphone et compose le 112. Il est 15h45. Il explique qu'on lui parle d'une voiture, de morts, d'une enfant peut-être encore en vie. La standardiste lui demande de rester calme. Mais l’urgence est claire.

D’un commun accord, ils décident de remonter pour vérifier. William à vélo, les trois amis dans leur véhicule. Arrivés sur le parking, Philippe descend. L’un de ses amis reste au volant, moteur allumé, prêt à redescendre rapidement si besoin. Philippe s'approche prudemment de la fillette pour lui prendre le pouls. Elle respire faiblement. Son bras est ensanglanté, son visage tuméfié. Elle murmure quelque chose en anglais, avant de perdre connaissance. Derriere lui, William est resté en retrait, témoin d'une scène qu'il ne pensait jamais revoir.

Soudain, Philippe sent une présence derrière lui. Il se retourne brusquement et aperçoit le cycliste anglais. Le stress, la peur, la tension accumulée montent en lui. Et s'il était le tueur ? Il s'apprête à se jeter sur lui, prêt à le neutraliser, mais William recule en levant les mains : « Ce n'est pas moi ! Je ne suis pas le tueur ! Je suis arrivé avant vous, j'ai coupé le moteur, j'ai vu les corps ! » Sa voix tremble, mais reste claire. Philippe le fixe un moment, puis baisse les bras. Il comprend. William est sincère. Ce n'est pas lui.

Le silence retombe, tendu. Ils échangent quelques mots. Les quatre hommes prennent une décision rapide : redescendre. Le parking est un lieu clos, isolé. Personne ne doit y monter avant l'arrivée des secours. Ils décident de bloquer l'accès à toute autre voiture, de faire barrage, de se poster à un point clé de la route. Ils attendent, dans l'angoisse, l'arrivée des forces de l'ordre.

Dans ce recoin perdu au fond des bois, silencieux et majestueux quelques minutes plus tôt, la France vient d’entrer, sans le savoir encore, dans l’une des affaires criminelles les plus énigmatiques, les plus glaçantes et les plus médiatisées de son histoire récente : la tuerie de Chevaline.

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